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propos
traitgris
 
C’est au quoti­dien qu’il faut défendre l’am­bi­tion d’un théâtre qui s’em­pare de la pensée et de la sensi­bi­lité pour faire circu­ler les esthé­tiques, qui satis­fait un besoin de beauté et d’éton­ne­ment, qui surprend, inter­roge, séduit et relance sans cesse le désir, et qui contri­bue à enri­chir les signes dont nous dispo­sons pour comprendre et dire le monde, ces signes encore non connus, jamais même imagi­nés ou pres­sen­tis, mais dont nous éprou­vons parfois le besoin incons­cient pour re-symbo­li­ser notre vie.
Ce théâtre doit reflé­ter et favo­ri­ser le mouve­ment artis­tique d’aujourd’­hui, soute­nir la créa­tion comme néces­saire à l’équi­libre de la cité, provoquer un espace vital qui conserve au verbe sa capa­cité de jubi­la­tion et de liberté, et conju­guer avec éclat progrès de l’art et proxi­mité des publics dans la recherche d’une exigence acces­sible.

La Compa­gnie Nocturne privi­lé­gie les spec­tacles de textes porteurs de sens, clas­siques ou contem­po­rains, qui mettent le monde en pers­pec­tive et trans­posent le réel vers l’acte poétique. Ces spec­tacles sont le fruit d’un travail de fabri­ca­tion dont les choix esthé­tiques sont marqués singu­liè­re­ment par le jeu et le corps de l’ac­teur dans le rapport aux espaces visuels et sonores de la scéno­gra­phie, des lumières, du son ou des outils multi­mé­dias. L’écri­ture scénique, si elle reste ancrée dans son temps, est au service de ce que provoque la poésie de l’au­teur et donne les moyens de livrer sa force sans la surli­gner, sans l’ap­puyer pour ne pas lui faire obstacle. La créa­tion ne para­phrase pas la force d’un texte mais invente avec déli­ca­tesse tout ce qui est néces­saire pour qu’elle parvienne au public.

Depuis que le théâtre existe, et quelque forme qu’il ait pu prendre, il a toujours raconté les mêmes histoires. L’amour et le pouvoir, dans toutes leurs décli­nai­sons, forment la source inépui­sable des fables racon­tées. Mais la puis­sance du théâtre ne réside pas préci­sé­ment dans la fable racon­tée, mais dans la manière dont elle est racon­tée. La manière de faire devient alors l’acte artis­tique. C’est l’es­sence même du théâtre. L’acte artis­tique est l’en­droit où l’on confronte sa capa­cité d’in­ven­tion, où l’on titille les limites, où l’on ques­tionne la notion de repré­sen­ta­tion. Le théâtre dévoile les failles.

Luc Sabot